05/10/2008

Appaloosa



Adaptation du roman de R.B. Parker, Appaloosa raconte l'histoire du marshall Virgil Cole et de son adjoint Everett Hitch, appelés dans la petite ville minière d'Appaloosa pour rétablir l'ordre. En effet, les habitants vivent sous la domniation de Randall Bragg et de ses hommes, qui n'ont pas hésité à tuer le shérif. La collaboration de Cole et Hitch va être mise en péril par l'arrivée d'une jeune femme, Miss French, qui va les séduire tous les deux.

Appaloosa est un western des plus classiques. On y retrouve des duels, l'attaque d'un train, la femme convoitée, les indiens, le propriétaire terrien antipathique... Les codes du genre apparaissent tant dans l'histoire que d'un point de vue formel. La mise en scène, épurée, se caractérise par l'abondance de plans américains, à mi-cuisse, ainsi que de plans d'ensemble, ancrant la petite ville dans un espace plus large, qui est celui de l'ouest américain. L'influence de John Ford, Howard Hawks ou Delmer Daves est palpable. Mais loin d'atteindre la dimension mythique de leurs westerns, Appaloosa se perd dans le respect des codes.

Ed Harris est peut-être trop modeste. Il dresse un hommage trop parfait, trop sage au genre. Son film est un objet lisse, aux contours bien dessinés, mais vide. On s'ennuie dès les permières minutes. Un bon réalisateur de western n'est pas forcément celui qui révolutionne le genre, certes, mais il doit au moins y apporter quelque chose, le tourner à sa manière, le faire parler. Il ne s'agit pas de réutiliser tels quels les canons institués par les classiques du genre tels que La poursuite infernale ou Rio bravo. Dans L'Appât ou L'Homme de la plaine, Anthony Mann maîtrise superbement le genre mais réalise des films si forts et si personnels que leur aspect générique passe au second plan. Il transcende le genre, ses codes, ses figures et livre des bijoux, où le tragique flirte avec le mythe.

Le tandem Viggo Mortensen-Ed Harris marche bien et pourtant le film ne décolle pas. On retiendra quelques moments d'étirement du temps intéressants et la scène de rencontre avec les indiens. Mais, parmi les westerns les plus récents, L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford" d'A. Dominik est nettement plus intéressant.

03/08/2008

surveillance



je vais voir ce film moins pour le titre ou l'affiche que pour le nom de la réalisatrice, jennifer lynch, la fille de son père. surveillance est son deuxième film, après boxing helena en 1993, qui n'avait alors pas fait grand bruit. jennifer lynch travaille avec son père depuis toujours, dans l'ombre, sur le son d'eraserhead ou à la production de blue velvet. mais cette fois, les rôles sont inversés : la fille est metteur en scène, le père producteur exécutif.


deux agents du fbi se joignent à la police pour retrouver des tueurs en série. jusque là, rien d'original. les trois témoins de l'une des scènes de crime sont pris à part et interrogés. sous forme de flash backs et de film chorale (puisque chaque témoin a un point de vue différent), nous découvrons la scène de crime. tout le monde ment et les tensions entre fbi et police font difficilement progresser l'enquête.

le film est lent à se mettre en place, mais cette lenteur devient par la suite un atout. l'atmosphère est pesante, oppressante. hormis 5 scènes, dont la scène racontée par les témoins, tout se passe à l'intérieur du commissariat. l'espace est encore plus resserré par la mise en scène. les personnages ne font qu'ouvrir et fermer des portes. aucun espace ne communique avec un autre. jennifer lynch n'hésite pas à filmer les murs, les portes, et notamment la porte d'entrée du commissariat, qui revient à plusieurs (courtes) reprises. l'espace extérieur est lui traité à la manière du brillant no country for old men. le paysage est vaste, aride, plat. comme dans le film des frères coen, la violence est crue, mais diffère en cela que les tueurs sont emprunts d'une folie pressante, d'un désir sexuel de tuer, que le personnage interprété par javier bardem n'avait pas.

du lien de parenté entre les filmographies du père et de la fille, nous retiendrons trois animaux morts (un rat et deux oiseaux) et un travail remarquable sur le son. jennifer lynch utilise des ambiances sonores dérangeantes, tout comme son père, des sortes de brouhahas dissonants et qui saturent la bande sonore. surveillance est aussi bien écrit qu'il est interprété. les deux acteurs principaux, bill pullman (lost highway) et julia ormond (inland empire) sont excellents.



11/07/2008

la jetée




en 1962 sort la jetée, photo-roman de chris marker. il s'agit de la seule oeuvre de fiction du cinéaste, jusqu'alors plus connu pour ses documentaires (sans soleil, le joli mai, les statues meurent aussi...). peu connue du grand public, cette oeuvre a cependant été adaptée au cinéma par terry gilliam en 1995 avec l'armée des douze singes. malgré des ressemblances dans la trame narrative, il s'agit bien là d'une adaptation libre, voire très libre de la jetée.
c'est chris marker lui-même qui qualifie son moyen-métrage de "photo-roman". il n'est en effet constitué que de plans fixes auxquels s'ajoute la voix-off. un homme est envoyé dans le passé pour permettre l'ouverture d'un corridor temporel. le présent, situé après la troisième guerre mondiale, est une prison et l'on apprend qu'il est menacé par l'extinction de la race humaine. le passé est donc le seul espoir de rédemption. l'homme choisi pour cette mission a des facultés de mémoire fortes, ayant été marqué dans son enfance par une image qu'il ne cesse de se remémorer.

(ci-dessous, le film en entier)


l'extrait se situe pendant l'une des expériences visant à renvoyer l'homme dans le passé. il mêle donc images du passé et du présent. cette séquence est fortement marquée par les thèmes de la rupture et du lien, du déliement et du reliement. elle témoigne ainsi à la fois d'une idée de vertige du temps et d'une réflexion sur l'image elle-même.

la séquence nous donne à voir deux mondes en rupture, représentations de deux temporalités distinctes : le présent et le passé. le présent apparaît comme un monde d'emprisonnement. l'homme, allongé, est ceinturé par des fils qui traversent par moments l'écran, et entouré par des scientifiques qui l'observent. il est ainsi cadré en plongée (plans rapprochés) tandis que les scientifiques sont en contre-plongées. ce monde froid semble caractérisé par la technicité, du fait de la présence, même suggérée, des machines, de la rationalité. l'image est plate, sans profondeur de champ, avec des fonds noirs. la bande-son, quant à elle, est composée de murmures étranges aux accents germaniques des scientifiques (la troisième guerre mondiale de la fiction fait bien sûr écho à la deuxième guerre mondiale), de sons sourds inquiétants et de battements de coeur. l'ambiance est oppressante, inquiétante. à l'inverse, le passé se caractérise par la sérénité et la douceur. l'homme et la femme se promènent alors dans un jardin. la présence de la nature est visible par les arbres, le soleil, mais également grâce au vent qui semble par moments soulever les cheveux des personnages. l'image est baignée de lumière et marquée par une grand profondeur de champ. d'autres personnages apparaissent dans le jardin. une impression de vie se dégage. la voix-off et la musique qui composent la bande-son participent à l'atmosphère de douceur et de plénitude.

les deux temporalités sont clairement en rupture, l'une symbolisant la mort et la destruction, l'autre la vie et le calme. cependant, une connexion est établie entre les deux mondes. l'idée de lien est d'abord présente dans l'intrigue elle-même: il est nécessaire de l'établir pour la survie de l'humanité. le héros va donc voyager à travers le temps. ce personnage établit déjà un premier lien par sa double présence, en simultané, dans le passé et le présent. les transitions (du présent avec les scientifiques au passé avec la femme) se font en fondus enchaînés. comme si l'homme fermait les yeux et glissait lentement dans un autre monde. au contraire, la transition du jardin au présent (plan 25 à 26) se fait en cut brutal (au moment où la voix-off prononce le mot "barrière"). le retour au présent est plus abrupt. l'homme semble désirer rester dans le passé mais est ramené malgré lui dans la présent. en outre, lui-même va créer un lien, qui est celui du sentiment. une relation amoureuse entre les deux héros se met petit à petit en place. l'amour se confond alors avec la nostalgie de cette femme à la fois passé et présente.

cette dualité rupture / lien témoigne du vertige temporel que tout le film tend à matérialiser. les indicateurs temporels (ou leur absence) nous perdent dans le temps. les nombreux parallèles entre passé et présent, comme les faux champs / contre-champs, les faux raccords regards entre l'homme et la femme etc, provoquent une perte des repères. le film fait référence à vertigo d'alfred hitchcock juste avant cette séquence, au moment où l'homme désigne un point hors d'une coupe de séquoia et dit "je viens de là". selon chris marker, le film de hitchcock nous donne à voir un vertige qui "ne concerne pas la chute dans l'espace. il est la métaphore évidente, saisissable et spectaculaire d'un autre vertige, plus difficile à représenter, le vertige du temps". le film de marker semble lui-aussi mettre en scène un trouble de la temporalité, une dilatation du temps qui conduit au vertige temporel. ainsi, le cinéaste crée une identification forte entre le spectateur et le héros, tous deux pris de vertige.

le film est caractérisé par une mise en abîme : ce qui arrive au héros nous arrive à nous aussi. lorsque l'homme est projeté dans le passé, nous le sommes également. on trouve de nombreux regards caméra (ici je devrais plutôt dire regards appareil photo), notamment lors du gros plan de la femme dans le lit. ainsi on ne sait plus si l'image est subjective et appartient à la mémoire de l'homme, ou bien si elle ne l'est pas (car il y a de nombreux plans où l'homme et la femme sont ensemble dans le cadre). cela reviendrait à redéfinir complètement le voyage temporel annoncé dans la narration, en voyage dans la mémoire. l'ambiguïté de l'image est fondamentale et induit une ambiguïté de sens. cela peut sembler témoigner d'une interrogation sur le pouvoir de nos propres images, sur le rapport entre réalité et image, sur la place de l'image filmique dans notre mémoire, ou même tout simplement sur la vision des images par le spectateur. comment celui-ci les recoit-il ? les identifie-t-il instinctivement à la réalité ? à "une" réalité ? ou bien les associe-t-il à ses propres images, ses propres souvenirs ? chris marker semble proposer une métaphore du cinéma dans son film, et nous pousse par la même à nous interroger sur l'image.

la séquence contient un moment clé, qui est également un moment clé du film dans son entier. il s'agit du seul instant en mouvement de la jetée : une scène sur le visage de la femme, au réveil. la plan animé est amené progressivement par des fondus enchaînés avec sur la bande son des pépiements d'oiseaux qui, de sourds, deviennent stridents et même agressifs. la scène décompose le mouvement puis le restitue pendant un bref instant. l'image animé, le cinéma tel qu'on l'entend communément, prend corps. on trouve bien ici le travail de déliement et de reliement du film. il s'agit d'un moment de suspension dans le temps, ou hors du temps. il introduit une tension entre le plan en mouvement et le flot d'images fixes qui constituent le film.

le film se construie autour d'une réflexion sur le pouvoir de l'image fixe, opposé à l'image en mouvement. l'image fixe peut sembler contredire le fondement même du cinéma. cependant, chris marker réalise une oeuvre de fiction avec des images fixes (hormis l'exception que je viens d'évoquer) qui a paradoxalement tous les attributs du langage cinématographique. la jetée est par exemple basée sur le montage et la bande sonore. le commentaire guide le rapport entre le spectateur et les images. les deux sont absolument indispensables à la construction du sens. lors du plan animé, la voix off se tait. l'image animée se suffirait ainsi à elle-même pour ce qui est de transmettre du sens, tandis que l'image fixe serait dépendante du texte.

la séquence concentre donc les deux enjeux principaux du film, à savoir le vertige du temps et la réflexion sur l'image. selon roland barthes, la photo serait comme une momification du temps. c'est ce que semble exprimer ici chris marker en faisant des photos qui composent son film des fragments figés du temps.