29/06/2008

Detour



le film de edgar g. ulmer est considéré comme un pur film noir. sa construction, originale, consiste en un prologue au présent, suivi d'un long flash back entrecoupé de brefs retours à la séquence initiale, et enfin d'un épilogue qui achève le film dans la noirceur. al roberts, anti héros au possible, part rejoindre sa fiancée de l'autre côté des etats unis. des évènements qu'il ne contrôle pas le mèneront à sa perte. paradoxalement, les hasards et les évènements aléatoires du film s'inscrivent dans l'idée de destin, thème majeur du genre noir. la fatalité implacable qui s'exerce sur al est perceptible formellement par le principe de répétition de plans alternés notamment. les deux scènes de mort accidentelle travaillent des problématiques communes, qui sont la déconnexion du personnage avec son espace et une mise en avant du point de vue. cela crée un doute sur la sincérité des images et de la voix off.



la mort d'haskell est le premier crime du film. il ne s'agit pourtant pas d'un crime au sens strict du terme puisque ce n'est pas al, le héros, qui cause la mort du propriétaire de la voiture. sa mort ne semble pas avoir de cause. le plan qui ouvre cette scène nous donne à voir les deux passagers de la voiture, de face. haskell est endormi, la tête appuyée sur la portière, tandis que al, au volant, se trouve surcadré par le pare-brise. cette instance transparente redouble les bords du cadre et enferme al dans l'espace contigu (car en plan rapproché) du plan. le surcadrage témoigne également de l'impuissance du personnage face à la situation, et au destin. le pluie qui survient juste après figure le déchaînement de la nature, contre lequel le héros ne pourra rien. al désire s'arrêter mais il est emporté par le mouvement de la voiture. c'est le seul à être en opposition car haskell, endormi, s'abandonne au mouvement. cela peut renvoyer au début du film, lorsque al veut rester à new york tandis que sa fiancée part à los angeles. le héros se retrouve toujours en contradiction avec ce qui l'entoure (sue, les voitures, vera) et il lutte. lorsqu'il s'abandonnera à la fin de detour, il pourra alors créer son propre mouvement. lors des derniers plans du film, il marche sur le bord de la route, accompagné par la caméra. la voiture de polie s'arrête, al monte sans résister, et la voiture repart dans le même sens que celui du personnage, hors champ. à ce moment, une certaine harmonie se fait jour entre al et son espace.

par de nombreux aspects, la scène de mort d'haskell est fortement déréalisée. elle se déroule en voiture et les plans cadrent les passagers avec en arrière-plan un paysage qui défile. ce dernier est là pour témoigner du mouvement de la voiture, ces scènes étant tournées en studio, grâce à un effet de transparence. cet effet, très répandu à l'époque, crée un décalage entre les mouvements de la voiture, ceux des personnages, et ceux du paysage. ce décalage peut créer une impression étrange d'irréalité. d'autre part, avant que la pluie ne commence à tomber, al s'endort et rêve de sue. ce rêve figure l'entrée dans la scène et jette le doute quant à son statut : est ce un rêve ? est ce un souvenir traité sur le mode du rêve ? à l'arrière-plan, le décor, peu discernable à cause d'une grande obscurité, semble presque abstrait. il mêle barrières blanches et reflet de phares dans le pare-brise. l'onirisme créé par l'espace est renforcé par la bande-son, qui ponctue à certains moments l'action de petits tintements, comme de petits scintillements magiques. la déréalisation de la scène pose le problème du point de vue. en effet, la sincérité du héros peut être remise en cause. l'adresse au spectateur par la voix-off évoque l'idée de confiance "commencez votre sermon, je sais ce que vous allez dire, vous ne croyez pas qu'haskell est mort ainsi, vous allez vous moquer de moi". la voix-off devance toujours l'action, ce qui témoigne de son pouvoir sur l'image, et de la subjectivité de ce qui nous est donné à voir. quelques secondes après avoir entendu la voix-off dire "quand j'ai ouvert la porte", on peut voir al ouvrir ladite portière et haskell tomber. al ne semble par vraiment sincère dans la mesure où il invente des excuses hypocrites pour voler haskell. il s'empare de l'argent après avoir remarqué qu'il lui en faudrait pour payer l'essence, puis échange les vêtements en prenant l'argument de sa crédibilité en tant que propriétaire de voiture.



la mort de vera est la deuxième mort accidentelle du film, encore une fois provoquée par al. la scène comprend deux espace distincts : la chambre où se trouve vera, et le salon avec al, tous deux séparés par une porte. al tente de pénétrer dans l'espace de la jeune femme. la caméra reste à l'extérieur de la chambre et nous donne à voir al. comme lui, nous sommes déconnectés de l'espace de la chambre, et ne savons pas ce qui s'y passe. il s'agit de créer un suspens mais également de témoigner encore une fois d'un décalage entre al et son environnement. l'espace est travaillé par deux figures : la ligne droite formée par le fil du téléphone qu'al tire (qui renvoie à la ligne droite de l'autoroute) et le cercle formé par le même fil qui entoure le cou de vera et étrangle la jeune femme. le cercle est aussi présent lorsque, après avoir découvert le corps sans vie de vera, la caméra déambule dans la pièce. le plan démarre sur le visage de al, et se termine de la même façon. le dernier plan du film renvoie également au premier. tous deux sont des plans de route, vides. la ligne droite et la boucle peuvent apparaître en contradiction, mais elles provoquent toutes deux l'angoisse par leur caractère infini, de la même façon que l'absence de limite du désert. l'infini figure le vertige du personnage face à son destin.

le long mouvement de caméra après l'entrée d'al dans la chambre convoque la notion de point de vue. on voit d'abord le visage d'al flou, puis un mouvement descendant nous montre le visage flou de vera, sur lequel est faite la mise au point. puis l'image redevient floue et la caméra repart, cette fois-ci vers le téléphone. lorsque la caméra s'arrête, la mise au point est de nouveau faite. le mouvement de caméra passe en revue comme cela les objets de la pièce, alternant le flou et les mises au point, jusqu'à suivre le fil du téléphone, net, pour retourner au visage du personnage. on passe donc du visage d'al flou à al net (c'est la boucle dont nous parlions). cette dialectique d'apparition et de disparition de l'image témoigne d'une mise en avant de l'énonciation. le discours prend alors le pas sur l'histoire, et se donne à voir, s'exhibe pour la première fois dans le film. cette idée figure la notion de point de vue et subjectivise la scène. seulement, il y a un doute quant à la caméra, dont on ne sait pas trop si c'est une caméra subjective d'al. le regard du personnage et l'emplacement de la caméra semblent indiquer que non (la caméra bouge tandis qu'al reste dans la même position). pourtant, la voix-off pourrait nous faire croire qu'il s'agit bien là du point de vue du héros. il dit "les nombreuses traces devaient être effacées" tandis que la caméra cadre un manteau posé sur une chaise, ou encore "j'étais sonné, incapable de fixer une idée, incapable d'une pensée claire" juste après l'alternance du flou et du net. ce décalage perd le spectateur, mais confirme bien le problème du point de vue.

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