30/06/2008

love me tender



sailor et lula met en place une apologie d'eros, de l'amour inconditionnel, irraisonné et passionnel. mais cet idéal semble vain car la fin du film est traitée sur le mode du rêve, du fantasme. Il s'agit moins ici de montrer eros comme un fantasme impossible à réaliser, que comme un idéal à atteindre, qui vaincrait le cynisme, et ferait de l'amour une religion, au sens de ce en quoi nous devons croire pour rejoindre le paradis, qui est ici le bonheur amoureux.



l'extrait se situe après que lula soit venue chercher sailor à sa sortie de prison, en compagnie de son fils, et qu'il la quitte sur le bord de la route. sailor, marchant, se fait alors agresser sur une route déserte, et, alors qu'il a perdu connaissance, il voit la bonne fée du magicien d'oz, qui lui conseille de retourner vers lula. se relevant, il remercie ses agresseurs et court rejoindre sa bien-aimée en hurlant son nom. il la demande alors en mariage sur le capot de la voiture, sous les yeux de son fils, en lui chantant "love me tender" d'elvis.

du fait d'eros, sailor ne peut pas quitter lula à la fin du film. ils s'aimaient au début du film, au milieu, et s'aiment encore à la fin. le cri de sailor, qui appelle lula après avoir repris connaissance, avec les bras levés vers le ciel (comme pour signifier la puissance divine de son amour) fait écho au cri de lula au début du film, lors de la scène où il tue bob ray lemon. cette structure circulaire figure une boucle rassurante, signe d'amour éternel, et la puissance sonore du cri, accentué par les réverbérations, en montre la passion. la musique classique d'orchestre qui débute à ce moment-là peut faire penser à une musique dramatique, typique des fins de romances hollywoodiennes.

la magie trouve de nombreuses incarnations dans cet extrait, qui peut nous faire douter de la réalité. il s'agit de nous perdre pour nous signifier que le plus important n'est pas là. d'abord, le rire mesquin de marietta lors du plan sur sa photo annonce la future agression, dont la belle-mère se réjouit. ce pouvoir magique d'anticipation, voire de commande sur le récit, nous rappelle que c'est bien marietta qui avait été représentée sous les traits de la méchante sorcière de l'ouest plus tôt dans le film. lorsque sailor retrouve lula, nous pouvoir voir marietta gémir, car elle sait encore une fois ce qui est en train de se passer. le plan suivant, sa photo brûle. cet évènement magique est doublé d'une métaphore, celle dont la mère dont les désirs partent littéralement en fumée.

ensuite, la stylisation de l'agression, qui passe non seulement par une effet clip (le début de cette scène en est l'incarnation flagrante, avec le gros plan sur les pieds de sailor, en rythme avec la musique), mais aussi par une chorégraphie harmonieuse (le plan aérien en plongée sur sailor et les voyous qui s'approchent, en forme d'étoile, en est un exemple). les plans du combat sont tous reliés par des raccords mouvements qui fluidifient l'ensemble. la caméra prend part à l'agression, les plans se rapprochant à mesure que les voyous approchent de sailor, et le montage, alternant des plans de face et des plans de dos, figure l'encerclement du héros.

les plans aériens de cette séquence annoncent la venue de la bonne fée. on entre clairement dans la dimension du rêve par un fondu enchaîné, qui fait disparaître les voyous du plan. l'échange en plongée contre-plongée entre sailor et la bonne fée est caractérisé par une saturation des couleurs, une lumière rose, un son qui figure la magie, et la voix métallique, irréelle de la bonne fée. ce personnage est une référence au magicien d'oz, et s'inscrit dans une longue liste de clins d'oeil que le film fait à ce conte. on peut penser aux talons rouges que fait claquer lula lorsque bobby peru la quitte, ou aux allusions à la route de briques jaunes. d'ailleurs, sailor et lula sont tout au long du film sur la route, encadrée de bandes jaunes, que l'on voit dans les plans en plongée de sailor allongé sur la route déserte à la fin du film.

lorsque la bonne fée disparaît et que le fondu enchaîné qui fait réapparaître les voyous nous laisse croire à une retour dans la réalité, on se rend compte que cette soi-disant réalité n'est pas plus réelle que le rêve, ce que la stylisation de l'agression nous laissait déjà entr'apercevoir. ainsi, sailor, après avoir couru rejoindre celle qu'il aime, monte sur le capot de la voiture et tend la main à lula, pour l'inviter à le rejoindre. l'échange de regard, en plongée contre-plongée, nous montre sailor en plan rapproché, sur fond de ciel bleu, comme s'il s'agissait d'une vision irréelle. puis ils s'enlacent, toujours debout sur le capot, et un raccord étrange, qui semble briser la règle des 180°, fait passer le point de vue de l'autre côté du couple. les deux raccords suivants, qui sont des raccords dans l'axe, sont appuyés et abrupts. alors que sailor chante "love me tender" à lula dans une rue embouteillée, nous n'entendons que leurs voix, qui résonnent. c'est comme si nous étions dans un autre espace, un espace infini, où chaque parole produit un écho (c'était déjà le cas lors du dialogue avec la bonne fée quelques minutes auparavant). il n'y a donc pas concordance entre le point de vue et le point d'écoute et l'espace semble irréel, de même que le temps, qui s'accélère car en moins d'une minute de chanson, on passe d'une lumière de plein après-midi à une lumière de quasi-crépuscule.

lors de la chanson, ils sont cadrés en plan rapproché, sur fond de ciel, et l'on voit le haut d'un immeuble et d'un réverbère. la caméra effectue un travelling circulaire autour d'eux, et eux-mêmes tournent, ce qui donne l'impression qu'ils volent. nous savons que cette théorie est impossible car nous les avons vus quelques secondes plus tôt monter sur le capot. pourtant, la déréalisation de la scène nous laisse croire qu'ils volent pour de bon, du moins avons-nous envie d'y croire. le film se clôt par les mots "je t'aimerai toujours" et un baiser, tel un topos de conte pour enfant. leur amour est donc figuré comme un rêve, car déréalisé, avant d'être transformé en idéal divin. nous savons que cela n'est pas réel, pourtant nous avons envie d'y croire, et c'est là toute la force du film.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

such a great scene! xx