06/07/2008

cat people



la séquence de la piscine est sans doute la plus célèbre du film de tourneur. elle se situe dans la seconde moitié du film. après avoir suivi alice dans la rue, irena suit la femme amoureuse de son mari jusqu'à la piscine, où celle-ci vient régulièrement nager. il est tard lorsqu'alice arrive, entre et se change seule au sous-sol. elle entend des feulements et voit une ombre de felin près de la piscine. la jeune femme, dans l'eau, tourne sur elle-même, cherchant des yeux le danger qui semble s'être rapproché. en effet, les feulements se font plus forts et des reflets se dessinent sur les murs. alice finit par pousser un cri, irena apparaît alors, allumant la lumière. cette dernière, un sourire aux lèvres, prétexte chercher son mari. elle part, puis alice sort de l'eau, découvrant son peignoir en lambeaux. cette scène est la paroxysme de l'angoisse de cat people. en l'étudiant sous un angle psychanalytique, on y retrouve tous les thèmes et les motifs du film.



la séquence de la piscine met en jeu deux angoisses, celle de la baigneuse et cible des foudres d'irena, et celle du spectateur. les symptômes physiques de l'angoisse sont même bien présents chez la jeune femme. cette dernière halète, respire vite et avec difficulté, crie. la scène se construit sur l'alternance de champs sur alice, qui décrit des mouvements circulaires dans l'eau tout en jetant des regards apeurés alentour, et de contre-champs sur rien, qui ne rendent compte que de ce qu'elle voit, à savoir les murs et le plafond de la piscine, parcourus de reflets. lors du climax, juste avant qu'elle ne crie et qu'irena n'allume la lumière, on assiste ç une accélération de l'enchaînement des raccords regard. il s'agit de figurer la montrée progressive de l'angoisse, jusqu'au point culminant, la décharge du cri d'alice.
les mouvements de la caméra et du personnage se complètent et décrivent une boucle qui encercle le spectateur, l'enferme et lui communique par la même la panique de la jeune femme. de même que la victime, le spectateur est amené à tourner sur lui-même. cette circularité crée un vertige qui désoriente. non seulement le spectateur ne trouve pas d'issue, mais il ne peut reconnaître ce qu'il voit. dans l'angoisse, les motifs de circularité et de perte des repères spatiaux sont bien présents. la pulsion qui ne s'est pas déchargée revient au corps et crée ainsi une boucle.

la perte des repères spatiaux s'accompagne d'un sentiment de claustration engendré par un décor aux dimensions réduites. la petite taille de la piscine crée l'enfermement. tourneur raconte dans positif (n°515) "pour obtenir le sentiment exact de claustrophobie, nous avons délibérément choisi, dans un immeuble existant de los angeles, une piscine qui ressemblait à l'intérieur d'une boite à chaussures, avec des murs blancs, un plafond bas, et de puissants reflets lumineux provenants de l'eau". la réflexion de l'eau au plafond et sur les murs ainsi que les clapotements de l'eau, très mats, sans réverbération, accentuent la claustration. l'horizon est bouché et les contre champs ne nous donnent à voir que des surfaces planes et unies. tout semble partout identique. cette indistinction de l'espace crée l'angoisse.

outre la perte des repères spatiaux et la claustration, l'angoisse est également figurée par la perte des repères temporels. le temps semble longuement étiré. on a alors le sentiment que ce qui aurait duré quelques secondes se déploie en minutes. on peut noter que la bande sonore participe de cet étirement du temps. le silence n'est troublé que par le feulement indistinct de la panthère et le bruit de l'eau.

les raccords regards rendent compte de l'absence d'objet des regards affolés d'alice. en effet, on ne voit jamais la bête. elle est du côté de l'informe et l'image devient abstraite. la panthère est présente par empreinte (ombres, formes non discernables, feulements...). une ombre informe se dessine par intermittence sur les murs et obstrue une grande partie de l'image. le son, informe lui aussi, est une sorte de grondement sourd, qui pourrait ressembler à un feulement. bien que non explicite, le spectateur croie au danger et à la présence de la panthère. il est amené à établir un lien avec ces empreintes et irena, qui vient d'entrer dans la piscine et disparaît de l'image pendant ce laps de temps. tourneur, qui agitait sa main devant le projecteur pour créer les ombres au moment du tournage, raconte que "les gens étaient alors horrifiés, car ils ne savaient pas s'ils avaient vu ou non la panthère". le spectateur ressent alors la même angoisse qu'alice, celle de l'imminence d'un danger. cette perception du danger se fait comme nous l'avons dit de manière indirecte et incertaine par le régime de l'empreinte, le hors champ et l'adresse (avec les regards d'alice). les plans larges en plongée sur la jeune femme donnent l'impression que le danger peut venir de partout. non localisable, invisible et informe, la panthère crée l'angoisse.

cette séquence pourrait être interprétée, toujours dans une optique psychanalytique, comme métaphore du traumatisme de la naissance. le corps indistinct d'alice, dans l'eau, renverrait au corps de l'enfant, et l'eau au liquide amniotique. la piscine figurerait le ventre de la mère, clos et sombre. le peignoir lacéré à la fin de l'extrait peut quant à lui faire penser à l'hymen déchiré. la panthère, dont on dit qu'elle pourrait représenter la féminité dévorante dans cat people, est ici le tenant lieu de la mère.

on peut aussi voir la séquence de la piscine comme une métaphore du cinéma, par les jeux d'ombres, de sons, de silhouettes et de lumière. l'extrait travaille en profondeur la question de la représentation cinématographique. il s'agit d'un paradoxe : rendre tangible l'intangible. le hors champ est ici défini comme informe, sorte d'inconscient filmique. le hors champ est le refoulé du film, un stade qui n'a pas encore atteint la figuration, mais qui la contient en puissance. la conscience serait alors la figuration, c'est-à-dire l'actualisation dans la champ. les reflets irréalistes de l'eau sur les murs de la piscine ressemblent étrangement au stade photochimique de la pellicule filmique, avant l'impression de la pellicule. on est alors au stade originel des formes cinématographiques. tourneur pose la question de la matière même du cinéma, précisément immatérielle.

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